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Tilleul-Bourbeuse; archives et conservations, A SAVOIR ET RETENIR.

Que sont les insectes xylophages, bêtes noires de nos musées

Les insectes xylophages raffolent des musées, mais ils n’ont que faire des grands maîtres. D’une précieuse huile sur bois ou d’un antique retable, ces visiteurs pragmatiques font tout simplement leur nid… Et leur repas. Leur nom, issu des mots grecs xylos (« bois »), phagos (« glouton ») et phagein (« manger »), définit leur activité : avec leurs mandibules, ils dévorent goulument le bois sec. Malgré leur taille minuscule (2,5 à 5 millimètres de long pour une petite vrillette), leur appétit peut donc faire des ravages dans une collection d’art

Petite et grosse vrillette (surnommée « l’horloge de la mort »), capricorne, lyctus, vrillette du pain : ces coléoptères se délectent tous des sculptures et des tableaux anciens. L’infiltration est discrète : la femelle pond ses œufs à la surface du bois ou à l’intérieur, en passant par des fissures. Une fois nées, les larves se mettent à ingérer le bois pour se développer, y creusant des galeries au fil de leurs fringales. Une activité cachée qui peut durer des mois, voire des années…

De petits insectes qui peuvent faire de gros dégâts

Souvent en bois de tilleul, de saule ou de peuplier, les objets du Moyen Âge sont des mets de choix pour ces intrus.

Arrivées à l’âge adulte, les larves forent un tunnel pour sortir de l’objet, laissant à sa surface un « trou d’envol », large de 1 à 4 millimètres. Les œuvres infestées apparaissent alors criblées de ces petits trous. Mais les dégâts intérieurs sont tout aussi préoccupants. En 2022, une statue polychrome du XVIIe siècle représentant sainte Brigide, conservée à la collégiale d’Amay en Belgique, avait été restaurée in extremis après une terrible découverte : tout son intérieur avait été rongé par des insectes xylophages ! L’intervention était urgente, car un objet ainsi fragilisé peut aller jusqu’à se briser en morceaux.

Vue de l’exposition « Maîtres et Merveilles »

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Vue de l’exposition « Maîtres et Merveilles », 2024

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© Musées des Beaux-Arts de Dijon / Philippe Bornier

Souvent en bois de tilleul, de saule ou de peuplier, les objets du Moyen Âge sont des mets de choix pour ces intrus, qui s’intéressent beaucoup moins au chêne, plus résistant, qu’ont privilégié les sculpteurs à partir du XIIIe siècle. C’est ainsi que de nombreux saints et Vierges en bois sculpté du Moyen Âge ont vu leurs nez, et d’autres parties de leurs corps, entièrement dévorés. Ne reste alors plus que des petits tas de vermoulure, une sciure aussi fine que de la farine, fruit de leur digestion…

« L’objet infesté peut perdre une grande quantité de matière. À l’étape ultime, la pièce de bois tombe en poussière du fait d’une perte totale de cohésion », alertait Pauline Teyssier dans son mémoire sur la détection et le piégeage des insectes en milieu muséal, présenté en 2015 lors de ses études en muséologie à l’École du Louvre.

90 œuvres mises sous cloche

Au musée des Beaux-Arts de Dijon, les régisseurs n’ont donc pas pris à la légère leur découverte, mi-juillet 2024 à l’occasion d’un dépoussiérage couplé d’une veille sanitaire, d’insectes xylophages dans l’exposition « Maîtres et merveilles. Peintures germaniques des collections françaises (1370–1530) » – un superbe parcours de peintures sur bois du Moyen Âge qui vient de fermer ses portes ce 23 septembre.

Deux petites vrillettes ont été repérées. L’une voletant dans les salles, l’autre sortant d’un ancien trou d’envol sur le cadre de l’une des œuvres exposées, Saint-Jacques le Majeur de l’atelier de Hans Traut (vers 1490–1500). Une très belle pièce MNR (spoliée pendant la guerre et non réclamée) en dépôt au musée de Dijon, qui représente finement, sur fond or, l’apôtre drapé d’une cape vert et rouge, tenant dans ses mains un bâton de pèlerin et une grande coquille Saint-Jacques.

Atelier de Hans Traut, Saint Jacques le Majeur

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Atelier de Hans Traut, Saint Jacques le Majeur, vers 1490–1500

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Peinture sur bois • 82 × 40 cm • Coll. musée des Beaux-Arts, Dijon

Comment les insectes sont-ils entrés dans les salles ? Les larves mettant « plusieurs mois voire plusieurs années pour se développer », « sans doute étaient-elles déjà présentes dans l’encadrement », avance la direction des musées de Dijon qui, « par mesure de prévention », a « immédiatement retiré l’œuvre de l’exposition ». Des veilles sanitaires et des pièges lumineux ont été mis en place dans le parcours, resté ouvert aux visiteurs. « En tout, 4 à 5 traces de petites vrillettes ont été détectées mi-juillet, et aucune autre depuis », nous rassure-t-on.

Néanmoins, « le risque existe » que des larves soient encore nichées dans les œuvres. Le choix a donc été fait de traiter par anoxie dynamique l’ensemble des œuvres de l’exposition après sa fermeture. Soit 90 peintures sur bois qui ont été placées depuis le 30 septembre, et ce durant 21 jours, dans des cabines spéciales vides de tout oxygène, afin de s’assurer d’éliminer tous les insectes. « De l’azote est injecté dans la cabine pour remplacer l’oxygène. C’est une méthode tout à fait classique, qui est sans risque pour les œuvres, contrairement à l’injection d’insecticide liquide dans les trous d’envol, l’irradiation Gamma ou la congélation », précise la direction dijonnaise.

Une situation courante dans les musées

Le musée des Beaux-Arts avait déjà traité sa collection mobilière en anoxie dynamique en 2000, effectué deux traitements par voie liquide en 2010 et 2013, et fumigé ses réserves en 2020. Mais il est loin d’être le seul concerné. « Tous les musées peuvent être confrontés à ce sujet et le sont un jour », souligne la direction. Ainsi, le musée du quai Branly à Paris avait mené deux grandes campagnes de décontamination entre 2001 et 2004 lors du déménagement de ses collections, tandis que l’hôtel Lallemant (le musée des Arts décoratifs de Bourges) avait dû, après découverte de vrillettes, fermer pour six mois de traitement complet en 2015.

Pour éviter une infestation, le gestionnaire des collections doit s’assurer de l’étanchéité totale du bâtiment, proscrire la nourriture dans les espaces d’exposition, et bien nettoyer les locaux afin d’éliminer la poussière et la saleté, dont se nourrissent aussi ces insectes. Lors de veilles sanitaires régulières, les équipes doivent également inspecter les œuvres avec une lampe et une loupe, et poser des pièges lumineux. Des « collections de référence » d’insectes, trouvés ou achetés, sont même constituées (notamment au musée des Arts et Métiers) afin d’identifier les spécimens retrouvés, qui leur sont comparés au microscope. Tout un art !

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