Sous les fresques antiques de la Villa Saint-Jacques, Alan Parks se gratte la tête en déchiffrant la quatrième de couverture de son dernier roman Un joli mois de mai. L’auteur de la série Harry McCoy, invité début mai de Libri Mondi broie du noir, à Luri, confesse, dans un anglais à l’accent bourbeux : « J’ai une si mauvaise mémoire, parfois je ne me souviens plus ce que j’ai écrit dans tel ou tel tome ! »
À 61 ans, ce pur homme de Glasgow est un jeunot en littérature noire : à peine cinq romans depuis 2017. Six en comptant celui sorti cette année au Royaume-Uni. C’est qu’il n’était pas prédestiné à l’écriture : son job, c’était l’industrie de la musique. Hérité de sa passion, lui qui a été biberonné à la scène musicale de la deuxième ville du pays, fréquentant toutes les petites salles où s’épanouissait un courant post-punk, tout en mascara et provocations.
« Quand le CD a coulé, que l’industrie du disque a plongé, eh bien j’ai été viré »
Les décibels, la nuit, les comptoirs pour se construire un CV. « J’étais directeur créatif pour Warner pendant vingt ans à Londres, se souvient-il sans nostalgie. Un ami était manager de Loyd Cole et il m’a d’abord emmené avec lui, puis j’ai travaillé pour New Order, Garbage, même Muse. Cela concernait surtout les conceptions de pochettes, la réalisation des clips, tous les visuels. J’en ai bien profité, on a pas mal voyagé pour les tournages, à Los Angeles, à Saint-Tropez aussi, à Paris, au Danemark… et puis quand le CD a coulé, que l’industrie du disque a plongé, eh bien j’ai été viré. »
« C’est parti sur un malentendu en fait »
Retour en Ecosse où il se demande ce qu’il va bien pouvoir faire pour gagner sa vie. Le voilà qui s’attelle à un scénario avec un ami. Un ami qui le félicite et l’incite à écrire, à tenter sa chance. Et ça tombe bien, il a essayé un truc, un roman, qu’il a caché dans un tiroir. « J’avais de quoi faire un livre et demi et mon pote qui l’a lu m’a dit que c’était vraiment bien. Il m’a très bien conseillé donc j’ai réécrit, sans me presser parce que c’était un hobby pour moi, je n’étais pas un professionnel. J’ai peut-être mis plus de deux ans à finir le premier roman. Et puis je l’ai envoyé à Canongate Books. Qui a aimé l’histoire. Comme il voulait me faire signer pour deux ou trois livres, ils ont vu le titre, Bloody January, et ils m’ont dit, »maintenant, écrivez-nous février et mars » … Je n’avais rien imaginé, c’est parti sur un malentendu en fait. »
La recette du polar
Voici la genèse des aventures de Harry McCoy, porté sur la bouteille, enfant de la Ddass, inspecteur sur le pavé, le Glasgow des années 74/75.
Dans un milieu du polar toujours à l’affût de la nouveauté, cette vieille recette du flic désœuvré fonctionne toujours (il est traduit en Espagne, en Italie, en Allemagne). Surtout quand elle sait si bien jouer avec les codes, les clichés.
« Je n’ai pas une immense culture de polars mais les clichés, j’avoue que j’aime ça. Mais par exemple, le partenaire de McCoy, c’est un super alibi pour prendre la place du lecteur, poser les questions que se pose le lecteur. OK il s’appelle Wattie qui est un diminutif de Watson ! Je m’en suis rendu compte après. Pour tout dire, c’était pénible d’écrire ce nom écossais McCoy, avec une majuscule, une minuscule, une autre majuscule. Watson me paraissait simple… J’aurais dû un peu plus réfléchir. »
Janvier noir (2018), L’enfant de février (2020), Bobby mars forever (2022), Les morts d’avril (2023) et donc Un joli mois de mai. Tous aux éditions Rivages (environ 40 000 exemplaires vendus des quatre premiers tomes).
Des histoires d’enfants maltraités, de femmes battues, de pègre, de flics pourris, de violences dans une ville qu’Alan Parks aime et dont il a fait le personnage central. « Je viens d’un village à 20 km de Glasgow et c’est sans doute l’un des endroits les plus ennuyeux de la planète. Quand on avait six ans avec ma grande sœur, ma mère nous emmenait faire les courses à Glasgow. J’ai donc le souvenir de cette ville, pauvre certes, avec ses SDF qui dormaient sur les bouches d’aération, des immeubles tout pourris, mais pour moi, c’était la ville, c’était le Dancing Glasgow avec toute une population qui se fringuait pour sortir, pour aller au pub. » Pour info, son village, c’est Elderslie, le berceau de William Wallace ! Le guerrier de l’indépendance écossaise. Comme quoi…
Fils d’un protestant et d’une catholique !
L’âge aidant, il comprend tous les paradoxes de cette cité frappée de désindustrialisation et de misère. Né d’un père protestant commercial en fruits et légumes, d’une mère catholique au foyer – « un mariage rare et compliqué dans les années 50 » – lui, le supporter du Celtic, sait le poids de la religion : « Dans les années 70, la police était à 90 % protestante. Et maçonnique ! Autant vous dire que pour un catholique, la vie n’était pas simple. Mon nom même, Parks, ne sonnait pas du tout écossais ! C’est plutôt afro-américain. Quand vous croisiez un Parks, c’était forcément un cousin ou une cousine. Dans l’annuaire, à Parks, il n’y avait que ma famille. C’est assez bizarre. » Juste ce qu’il faut pour se construire une identité complexe.
De là à dire que son Harry McCoy lui ressemble, il y a un pas qu’il se refuse à franchir. De même, les amitiés de son flic avec un caïd local, lui aussi de la Ddass, ne sont qu’une astuce d’écrivain : « J’ai connu une fois un truand, il était assez charismatique pour dire la vérité mais je n’ai jamais été proche. Mon cousin, lui, à l’école avait un sale gamin dans sa classe qui le désignait comme son meilleur ami ! Un jour, il lui a dit, viens on va faire un peu vol à l’étalage… Pour le reste McCoy est un vrai personnage de fiction. »
La preuve – s’il en fallait encore une – en cette après-midi capcorsine, Alan Parks sirote un Coca quand son enquêteur enquille les pintes comme le Bayer Leverkusen les victoires. Pour l’auteur, la bière c’est le soir uniquement (« Pietra is great ! »). Les photos sur Twitter avec un demi de bon matin ? « Mais nous les Écossais quand on est en vacances, que l’on prend l’avion, le premier truc c’est d’aller boire à l’aéroport ! De monter dans l’avion un peu joyeux. » L’autre tradition liquide, c’est, un lendemain de cuite, de se vider une bouteille d’Irn-Bru, soda étrange, mixture à la vague forme d’orange et de gingembre, boisson quasi nationale qui, depuis des décennies, détrône tout autre breuvage sans alcool : « Même Coca passe après l’Irn-Bru chez nous ! »
Le tome de juin est déjà publié au Royaume-Uni
Écouter Alan Parks, ce n’est pas vraiment se familiariser avec la langue de Shakespeare. On a tant dit sur l’accent écossais et pourtant, cela reste toujours surprenant, un brin mystérieux.
À l’écrit comme à l’oral d’ailleurs : lorsqu’il envoie ses textes à l’éditeur, il n’est pas rare qu’un correcteur l’appelle parce qu’il ne comprend pas une expression, un mot. « Il faut bien se rappeler qu’en Angleterre lorsque Trainspotting est sorti au cinéma, il était sous-titré !, s’esclaffe-t-il. J’essaye tout de même de faire attention avec des syntaxes qui seraient trop de chez moi. » Le tome de juin est déjà publié au Royaume-Uni. Celui de juillet est écrit. La suite ? Il n’a pas d’idées précises pour parvenir à décembre et clôturer la série.
Juste de l’instinct et du talent.
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