Récap CANNES, NEUVIÈME JOUR. Six ans après « le Grand Bain », Gilles Lellouche est de retour sur la Croisette avec une grande fresque amoureuse de près de trois heures qui se déroule dans le nord de la France entre les années 1980 et 1990.
C’est la dernière ligne droite. Ultime projection ce vendredi pour tenter de succéder à « Anatomie d’une chute ». D’ici là, retour sur la journée de jeudi.
« L’Amour ouf » : Gilles Lellouche dans le grand bain
Il en rêvait depuis des années, il s’est lâché. Quand il lit le roman « l’Amour ouf » (« Jackie Loves Johnser, OK ? » en VO) de Neville Thompson, que lui a conseillé Benoît Poelvoorde, il y a près de deux décennies, Gilles Lellouche en tombe raide dingue. Il n’a pas encore réalisé « le Grand Bain », ne s’imagine pas une seconde bénéficier un jour d’un budget de plus de 35 millions d’euros pour l’adapter. Et encore moins se retrouver avec le film en compétition à Cannes, sa première après le triomphe hors compétition du « Grand Bain » en 2018 !
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Love story sur une quinzaine d’années entre deux gamins pauvres de Dublin, Johnser et Jackie, le livre de Thompson lui va droit au cœur. Dans le film, Johnser est renommé Clotaire et la fin a été changée. Avec ses coscénaristes du « Grand Bain », Ahmed Hamidi et Julien Lambroschini, auxquels s’est ajoutée Audrey Diwan, Lellouche a déplacé l’action dans le nord de la France, pour la fantasmer en terre de cinéma, nourrie de tous les films et de la musique qu’il aime. Et quand on dit tout, ce n’est pas assez.
Clotaire, 16 ans, fils d’un docker brutal (Karim Leklou) et d’une adorable mère au foyer (Elodie Bouchez), gosse sans malice qui ne s’exprime que par la violence, est voué à mal tourner. Jackie, 15 ans, gamine grande gueule de la classe moyenne, est élevée seule par un père aimant (Alain Chabat), réparateur de télé, depuis la mort de sa mère. Coup de foudre. Entre eux, c’est plié, ce sera pour la vie. Quand Clotaire devient le petit protégé d’un parrain local, beauf et raciste (Benoît Poelvoorde)… Tout le contraire de Clotaire, qui, en prison, entretient le souvenir de sa bien-aimée en apprenant les 457 adjectifs la définissant, selon lui.
On n’aurait pas assez de 457 titres pour citer tous les emprunts et clins d’œil que renferme cet « Amour ouf » : « Flashdance », « les Affranchis », « la Boum », « New York 1997 », « Scarface », « le Parrain », « Phantom of the Paradise », « Pulp Fiction », « la Haine » et même des airs de Paul Thomas Anderson, Carax ou… « Highlander » ! Maboul de cinoche populaire et rutilant, Lellouche fait son miel de sa nostalgie démesurément fétichiste pour ses passions de jeunesse des années 1980-1990.
Dans « l’Amour ouf », on mange des Flanby et on enregistre « Nothing Compares 2 U » de Prince à la radio pour son amoureuse, sur la chaîne hi-fi familiale, ce qui replongera les spectateurs quadras et quinquas au temps des boums et des compils sur K7 audio. Et quand un couple se forme, il danse dans une lumière bleue, au son de The Cure, sur une chorégraphie du collectif (La)Horde. Ces madeleines sont la matière première d’une fresque outrageusement naïve, violente et romantique où l’exercice de style peut faire écran à la sensibilité.
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Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la première moitié consacrée à la jeunesse des personnages (formidables Mallory Wanecke et Malik Frikah), épousant leur élan, est la plus réussie. Dans la seconde, où ils sont interprétés par Adèle Exarchopoulos et François Civil (très bien), la tournure noire que prend l’histoire pousse le réalisateur à surinvestir son formalisme eighties, très Beineix ou Alan Parker, et musical – lors d’une séquence clippée, il va jusqu’à recréer en live la pochette d’un album de NTM.
Lellouche se fait plaisir mais ne se fait pas assez confiance, sacrifiant la nuance (la cherche-t-il ?) à son désir généreux de spectacle, d’artifice pop, d’images léchées, d’épate visuelle (impressionnante photo de Laurent Tangy, montage tendu de Simon Jacquet) et de romantisme exacerbé. Voire à un lyrisme lellouchien, tendance Claude. Entre sa débauche de baisers devant des couchers de soleil sur la musique de Jon Brion (le compositeur de « Punch Drunk Love » et, déjà, du « Grand Bain ») et son déluge de travellings nocturnes sur des tu(b)eries pop rock/électro/hip-hop (Billy Idol, OK, mais aussi « … So » de Soft Cell ou « Made You Look » de Nas), ce sont ses trop rares respirations dialoguées qui donnent du souffle au film et renouent avec la sensibilité et l’humour du « Grand Bain ».
Comment pourrait-il en être autrement avec de telles crèmes de seconds rôles : Bouchez, Chabat, Poelvoorde ? D’autres, comme Raphaël Quenard et Jean-Pascal Zadi (le frère de Clotaire et son meilleur pote tchatcheur), ont vraisemblablement été sacrifiés au montage. Deux heures quarante-cinq, ce n’était pas assez ? « L’Amour ouf », l’un des trois plus gros budgets du cinéma français cette année, est un film too much, une BD carrossée et pleine d’excès. Un geste assez ouf, en effet. N. S.
Indien vaut mieux que deux tu l’auras
C’est le sport national à Cannes : gloser sur tel film ne méritant pas la compétition, tandis que tel autre devrait sans conteste y figurer. Le critique est joueur. Mais ce jeu a du sens quand on peut vraiment comparer deux longs-métrages l’un à l’autre. En l’occurrence deux films indiens, chacun réalisé par une cinéaste quasi débutante. En compétition, « All We Imagine As Light » est le deuxième long de Payal Kapadia, après « Toute une nuit sans savoir », présenté à la Quinzaine en 2021. Le double parcours de deux femmes, infirmières et colocataires, l’une étant plus âgée que l’autre ; leur rapport aux hommes, au désir, à la justice et à transgression. C’est intéressant sur le papier, mais pas convaincant, hélas, dans la mise en scène.
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Présentée dans la section Un certain regard, « Santosh », la première fiction de la documentariste Sandhya Suri, est un solide film dossier sur une veuve qui remplace, au sein de la police, son mari tué lors d’une manifestation. Efficace, fine observatrice, elle est prise en main par une commissaire qui l’entraîne dans une enquête sur le viol et l’assassinat d’une jeune femme. Mais le coupable idéal n’est pas forcément le vrai coupable. Malversations et présupposés régissent ce monde que nous découvrons à travers les yeux de Santosh. Interprétée avec une puissance contenue par Shahana Goswami, elle est notre guide effarée dans des méandres bourbeux. Malgré son clacissisme et quelques longueurs, Santosh est d’une force remarquable. Et, oui, on l’aurait bien vu en compétition. I. D.
Beaux débuts
Quel est le lien entre Laetitia Dosch, Ariane Labed et Céline Sallette en ce 77e Festival de Cannes ? Un film. Mais chacune le sien ! Toutes trois comédiennes, elles présentent leur premier long-métrage comme réalisatrice en sélection officielle. Trois regards très différents sur des personnages de femmes.
Laetitia Dosch est à la fois devant et derrière la caméra pour « le Procès du chien » (Cannes Première), comédie foutraque et sympathique inspirée d’une histoire vraie où elle incarne une avocate des causes désespérées défendant un chien aux assises. Ariane Labed, dans « September Says », adapte « Sisters », roman gothique de Daisy Johnson, et tourne en Irlande une histoire d’adolescence rugueuse, de sororité et de filiation. La dimension fantastique s’insinue dans le grain de l’image, les paysages furieux, la douce violence des relations humaines. Le film est présenté à Un certain regard, comme celui de Céline Salette, qui, elle, s’attaque avec « Niki » à la biographie de Niki de Saint-Phalle mannequin, actrice, peintre et sculptrice. A travers des passages clés de sa vie et de l’iconographie reconnaissable (le bonnet de fourrure, le tir à la carabine sur tableaux…), mais aussi dans sa prise de conscience tardive de l’inceste que lui a fait subir son père à l’adolescence. Un portrait un peu sage, peut-être, mais jamais ennuyeux.
Quelles que soient les (petites) réserves, on salue dans ces trois longs-métrages l’audace et l’originalité. I. D.
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Le « Comte » est bon
Est-ce pour conjurer le sort que Pierre Niney a sorti, sur Netflix, sa série « Fiasco » (il y incarne un réalisateur raté), quelques semaines avant la présentation à Cannes du « Comte de Monte-Cristo » ? A 35 ans, l’ex-pensionnaire de la Comédie-Française peinait à cacher qu’incarner le personnage mythique créé par Alexandre Dumas était LE grand rôle qui manquait à sa carrière. Mathieu Delaporte et Alexandre de La Patellière le lui servent sur un plateau. Les deux volets des « Trois Mousquetaires » (dont le duo était scénariste) avaient laissé une impression plus que mitigée. On pouvait donc nourrir quelques doutes devant cette nouvelle adaptation de l’œuvre de l’écrivain français le plus prolifique du XIXe siècle.
Passé derrière la caméra, le binôme réussit pourtant pleinement son pari. Mélange de blockbuster et d’adaptation respectueuse de ce grand classique de la littérature, le film ne cache pas ses ambitions et parvient à les assumer durant trois heures. Au cœur de ce grand spectacle, un Pierre Niney qui mouille la chemise, dans tous les sens du terme, pour se fondre dans le personnage d’Edmond Dantès. Le ton est donné dès la scène d’ouverture dantesque : un navire pris dans la tempête. Performance physique, jeu mélodramatique, Niney donne à ce Monte-Cristo une épaisseur crédible, mêlant classicisme et modernité. Autour de lui, Laurent Lafitte campe un procureur de Villefort convaincant et Bastien Bouillon un Fernand de Morcef complexe. Mention spéciale à Vassili Schneider et Anamaria Vartolomei qui, dans deux personnages secondaires, parviennent à imposer leur présence. Un regret : une Anaïs Demoustier, dans le rôle de Mercedes, qu’on aurait aimé voir davantage à l’écran.
L’ensemble est servi par tous les moyens d’une superproduction digne de ce nom : magnifiques décors naturels (les scènes en Méditerranée, du château d’If à l’île au trésor sont splendides. Petit abus de drone, certes, mais les lumières sont maîtrisées (loin du jaune malaisant des « Trois Mousquetaires ») et les costumes particulièrement soignés. Du cinéma populaire assumé et réussi. (Sortie en salle le 28 juin) F. S.
Mohammad Rasoulof : un cinéaste en exil monte les marches
Ce sera assurément l’un des temps forts de ce Festival. Le cinéaste iranien Mohammad Rasoulof, qui vient de fuir clandestinement son pays, est à Cannes pour présenter ce vendredi son film en compétition pour la palme d’or. Il s’agit de la première apparition publique du réalisateur après sa fuite qui a laissé planer un grand doute quant à sa présence.
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Cette grande voix du cinéma iranien, qui n’a cessé de braver la censure, n’avait pas mis les pieds à Cannes depuis 2017 et le prix Un certain regard pour « Un homme intègre », qui abordait la question de la corruption. A cette époque, Rasoulof expliquait déjà au « Nouvel Obs » sa difficulté à exercer son métier, tout en relativisant :
« Même avec un téléphone portable, on peut faire des choses intéressantes. Je ne m’en priverai pas car je ne pense pas avoir commis une quelconque faute. »
En 2020, il avait été empêché de quitter l’Iran pour recevoir son Ours d’or à Berlin pour « Le diable n’existe pas », un vibrant plaidoyer contre la peine de mort. Il nous avait alors accordé un entretien par Skype, en toute clandestinité.
L’incroyable histoire de David Hertzog
C’est probablement LA plus belle histoire de cette 77ᵉ édition du Festival de Cannes. A 20 ans, David Hertzog Dessites était balayeur près du Palais des Festivals. Cette année, il a foulé le tapis rouge avec son documentaire « Il était une fois Michel Legrand ». Rencontre en vidéo.
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