La chronique de Tatiana de Rosnay. Retrouvailles estivales avec Tintin et Zola

Enfin ! Les vacances sont bien là. Le hamac attend sous le tilleul. Les roses du jardin exhalent leur parfum. Le thé glacé est prêt sur la petite table, à côté des lunettes de vue. C’est le même rituel délicieux. Relire les livres que j’aime… Mais pourquoi relire, alors qu’il y a tant de nouveaux ouvrages à découvrir ? Parce que c’est comme un rendez-vous avec une personne qu’on aime. Une meilleure amie. Et relire quoi, précisément ?

Il est des romans fétiches…

Enfin ! Les vacances sont bien là. Le hamac attend sous le tilleul. Les roses du jardin exhalent leur parfum. Le thé glacé est prêt sur la petite table, à côté des lunettes de vue. C’est le même rituel délicieux. Relire les livres que j’aime… Mais pourquoi relire, alors qu’il y a tant de nouveaux ouvrages à découvrir ? Parce que c’est comme un rendez-vous avec une personne qu’on aime. Une meilleure amie. Et relire quoi, précisément ?

Il est des romans fétiches, des livres « doudous », vers lesquels on se tourne, naturellement, comme pour s’abriter au cœur d’un refuge moelleux, surtout par des temps troublés ou une actualité qui a longtemps été anxiogène. L’entourage préférera peut-être suivre les Jeux olympiques heure par heure. Soit. Moi, je vais m’adonner à des relectures salvatrices.

Mon choix cet été ? Les aventures de Tintin par Hergé et la série des Rougon-Macquart, de mon cher Émile Zola. Faut-il les relire dans l’ordre de parution ? Les puristes vous diront que oui, évidemment, et insisteront là-dessus. Mais je ne suis pas tout à fait d’accord. Pourquoi se tenir à une règle ? J’aime l’idée de fonctionner au coup de cœur, de suivre mon instinct.

“Nous partons sans doute à la recherche de l’enfant, de l’adolescent que nous avons été”

Que se passe-t-il lorsque nous relisons un texte que nous connaissons bien, que nous apprécions ? Une sorte d’alchimie particulière, qui ressemble à une madeleine de Proust inédite : nous partons sans doute à la recherche de l’enfant, de l’adolescent que nous avons été. Lovée dans mon hamac, je ne vois plus le temps passer. J’entends vaguement des clameurs olympiques télévisuelles qui proviennent de la baie vitrée ouverte, tandis que je sirote mon thé glacé, les yeux happés par les mots et les images. Je démarre mon périple Tintin/Zola (quel couple étonnant !) avec « Les 7 boules de cristal » et « L’Assommoir ». Je poursuis l’aventure avec « Une page d’amour » et « L’Île noire ». Et je continue avec « L’Étoile mystérieuse » et « Pot-Bouille ». Le pli est pris et les pages se tournent jour après jour.

Hop ! Me voilà sur une autre planète : je me revois petite, m’esclaffant devant les cabotinages de Milou, les invectives et les postillons du capitaine Haddock, l’étourderie de Tournesol, les gaffes de Dupont-Dupond. Comme dans la chanson de Souchon, j’ai tout à coup dix ans et je frémis devant le rictus de Rascar Capac, devant l’araignée énorme surgie de nulle part qui menace le jeune reporter.

« Quelle claque, cette bataille du lavoir entre la brave Gervaise et la perfide Virginie ! J’avais oublié sa violence, son âpreté et j’en ai le souffle coupé à nouveau »

Il se passe le même phénomène avec mon cher Émile. Quelle claque, cette bataille du lavoir entre la brave Gervaise et la perfide Virginie ! J’avais oublié sa violence, son âpreté et j’en ai le souffle coupé à nouveau. J’ai 13 ans,  je porte un parfum à la pomme verte, un appareil dentaire, un jean Wrangler et je gémis en lisant l’accouchement atroce d’Adèle toute seule dans sa chambre de bonne sous les toits. Je pleure de bonheur devant les descriptions sublimes de Paris vues des hauteurs de l’appartement d’Hélène, à Passy. 

Il me semble que Zola et Hergé possèdent un don en commun : cette capacité magique qui fait en sorte que le lecteur est incapable de lâcher le bouquin : je veux savoir ce qui va se dérouler (même si je connais déjà la fin de l’histoire). Je suis toujours autant captivée par le périple rocambolesque de Tintin vers la Lune, que par l’âpre combat d’Étienne Lantier dans « Germinal ».

Mais l’adulte que je suis aujourd’hui ne peut s’empêcher de déchiffrer ces histoires différemment, de se poser des questions. Qui est Tintin, si soigné et si solitaire ? Né « boy-scout et redresseur de torts », avait précisé son créateur. Les détracteurs d’Hergé l’ont accusé de discrimination, ce que j’ignorais, gamine, tout comme Émile Zola, désigné comme « pornographe » ou « cochon » par ses opposants. La collégienne que j’étais ne connaissait pas encore les détails de son décès soudain, lié aux remous de l’affaire Dreyfus. C’est une véritable lutte intérieure que je mène afin d’empêcher l’adulte de contaminer l’âme d’enfant qui virevolte comme un fragile papillon entre ces pages. Devinez qui a gagné ?

La gamine.